dimanche 27 septembre 2009

Avis de tempête...ou le ballet des girouettes


Il y a évidemment une mythologie et une mystique du vent qui ont donné lieu à quantité de métaphores dont la signification est finalement assez constante. Le vent est le symbole de l'impalpable, l'immatériel, donc de l'esprit. Et l'imagerie judéo-chrétienne reprendra à son compte cette symbolique après sa tentative avortée de construire une spiritualité libérée des représentations et du culte des images.

Descartes, après sa fascinante expérience de mise en doute de l'existence du monde, sait bien contre quelle puissante force des images il lutte lorsqu'il écrit : "Je ne suis point cet assemblage de membres, que l'on appelle le corps humain; je ne suis point un air délié et pénétrant, répandu dans tous ces membres; je ne suis point un vent, un souffle, une vapeur, ni rien de tout ce que je puis feindre ou imaginer, puisque j'ai supposé que tout cela n'était rien, et que, sans changer cette supposition, je trouve que je ne laisse pas d'être certain que je suis quelque chose."
Souvenons-nous de la difficulté que nous avions, petits, lorsque le maître nous disait qu'un point géométrique était l'intersection de deux droites...et absolument rien d'autre, et surtout pas la misérable et vulgaire petite marque de craie blanche sur le tableau. Et bien la conscience chez Descartes, comme le point géométrique, comme le vent, appartiennent à la même famille énigmatique : celle des invisibles qui pourtant produisent des effets.

Un grand philosophe du vent, Alain Cugno, écrit ainsi, dans L'air : "Que l'invisible puisse nous toucher réellement, tel est le grand mystère à éclaircir. Le vent est la force de l'invible, son versant concret."

Cette matérialité invisible opère autour de nous, pénètre en nous de manière obscure et se diffuse dans tout l'espace social. C'est pourquoi il est "naturel", comme disait Jaques Chirac, d'être conduit à une politique du vent, beaucoup moins connue mais tout aussi influente et dont Edgar Faure, qu'on traitait souvent de girouette, a donné la meilleure formule : "ce n'est pas moi qui change, c'est le vent qui tourne."
Autrement dit, même si les vents constituent une grande dynastie et qu'il y a donc plusieurs formes de politique du vent, le grand chef, Eole de la politique, est l'opportunisme.
Opportunisme vient du latin opportunus "qui conduit au port". L'étymologie, neutre et objective comme toujours, nous conduit à l'idée qu'il là d'un certain art politique qui consiste à tirer le meilleur parti des circonstances, parfois en le faisant à l'encontre des principes moraux. Opportunisme est donc père de deux rejetons, Démagogie et Populisme. Il est aussi cousin de Pragmatisme, donc de la famille éloignée de l'empirisme et de l'atomisme.
L'opportunisme s'oppose évidemment à l'idéologie, mais aussi à la morale et à la science. C'est le vieux concept antique de kairos qui surgit ici. Pour un Grec comme Aristote, il y a bien une science propre à notre pauvre monde pétri de contingence, de hasard et d'imperfection. Loin de la perfection du monde des sphères il y a l'art du kairos. Pour les artistes du kairos, c'est-à-dire du moment opportun, le bien n'est pas unique, indépendant des circonstances, identique à lui-même; il est relatif à la situation, à l'instant présent. La même chose peut être bonne ou mauvaise selon les circonstances ; source d'un mieux dans certains cas ou d'un moins bien dans d'autres. C'est pourquoi aussi, pour l'opportuniste, il y a très peu d'actions intrinsèquement mauvaises ou bonnes. Ajouter un nom sur une liste de compte en banque dans des paradis fiscaux peut s'avérer être, ou non, une très mauvaise action. Le corollaire de l'action opportuniste c'est que le résultat est le seul juge. Comme disait Machiavel, grand maître devant l'Eternel (Epicure) de cette philosophie, : "le temps est la vérité de toute chose".

C'est ainsi, qu'à l'occasion des premiers vents un peu plus frais annonçant, avant l'heure, l'arrivée de l'automne, nous avons eu une bonne brise opportuniste venue de l'est. Plus précisément Daniel Cohn Bendit, lors de l"université d'été" d'Europe Ecologie à Avignon s'est écrié dans une de ses habituelles envolées lyriques :

"Vous voulez avoir une majorité, oui ou merde ? S'il faut ajouter le Modem, on ajoute le Modem. Si vous voulez une majorité, il faut aller chercher les gens où ils sont, et non pas là où vous êtes !"

Lorsque les instituts de sondages, les tractations politiciennes et les mouvements d'humeur de la foule sont les instruments de navigation des hommes politiques on peut penser qu'on arrivera effectivement à un port, mais lequel ? Pour qu'il y ait un bon port il faudrait au contraire avoir une idée de ce qu'on cherche, en fonction de critères et de valeurs. A ceux qui évoluent en fonction du cours des vents s'opposeront donc toujours ceux qui montrent le nord, la direction à prendre, le modèle à suivre. Ces hommes ont toujours été les modèles de l'humanité, résistants, hommes et femmes de convictions, rebelles têtus et incorruptibles jusque dans la torture. Jean Moulin, Gandhi, Victor Hugo, Nelson Mandela, Jean Jaurès, etc. Philosophie du chêne qu'aucune adversité ne peut ébranler, même quand il est au sol. L'heure où l'on vénérait les chênes est apparemment révolue. Vient l'ère des roseaux qui plient sous toutes les bottes mais ne rompent pas.

Voilà aussi pourquoi Epicure ne se mêla pas de politique!

A l'heure où on mélange allègrement Blum et de Villiers, Jaurès et les rolex, Guy Môquet et privatisation des services publics, l'hymne de notre temps sera peut-être celui que chantait Jaques Dutronc :

Je crie vive la révolution
Je crie vive les institutions
Je crie vive les manifestations
Je crie vive la collaboration

Non jamais je ne conteste
Ni revendique ni ne proteste
Je ne sais faire qu'un seul geste
Celui de retourner ma veste, de retourner ma veste
Toujours du bon côté

Je l'ai tellement retournée
Qu'elle craque de tous côtés
A la prochaine révolution
Je retourne mon pantalon