vendredi 18 décembre 2009

Je suis un poète en politique : je crée !


A la suite d'une rencontre avec Cohn Bendit qui en a intrigué plus d'un, cette phrase de Jean-Luc Mélenchon, président et fondateur du Parti de Gauche, a pu surprendre. Surtout dans un pays qui se définit comme cartésien et n'a malheureusement retenu de Descartes (quand il sait que « cartésien » a quelque chose à voir avec l'illustre philosophe!) que la froide rigueur déductive alliée à la mémoire reproductive comme idéal éducatif. Si la France est le pays du bon goût, du savoir, de la culture et de la tradition c'est parce qu'elle est aussi le pays où le grand homme est forcément mort, qu'il soit savant, philosophe, poète, écrivain, héros ou homme politique. Tout le monde vénère Jaurès, Moulin, Sartre ou Hugo mais peu sauraient le reconnaître s'il surgissait aujourd'hui. Et la raison est que l'imagination ne fait pas partie de nos principes ou de nos valeurs . C'est pourquoi cette phrase du philosophe-roi Mélenchon marque peut-être, en politique et ailleurs, le retour de l'art, de l'imagination, de la notion d'oeuvre et du critère du beau, là où on essaye de nous rabaisser au rang d'animaux vaguement sociaux.

En observant les lycéens de la côte basque organiser de pauvres blocus sans imagination, oubliant que la contestation et la révolution sont des jeux sérieux, à l'heure de la énième réforme du système éducatif, à l'heure où il s'agit de créer un monde nouveau pour répondre à une situation inouïe, il est bon de relire un texte essentiel de Baudelaire:

"Mystérieuse faculté que cette reine des facultés! Elle touche à toutes les autres ; elle les excite, elle les envoie au combat. Elle leur ressemble quelquefois au point de se confondre avec elles, et cependant elle est toujours bien elle-même, et les hommes qu’elle n’agite pas sont facilement reconnaissables à je ne sais quelle malédiction qui dessèche leurs productions comme le figuier de l’Évangile.
Elle est l’analyse, elle est la synthèse ; et cependant des hommes habiles dans l’analyse et suffisamment aptes à faire un résumé peuvent être privés d’imagination. Elle est cela et elle n’est pas tout à fait cela. Elle est la sensibilité et pourtant il y a des personnes très sensibles, trop sensibles peut-être, qui en sont privées. C’est l’imagination qui a enseigné à l’homme le sens moral de la couleur, du contour, du son et du parfum. Elle a créé, au commencement du monde, l’analogie et la métaphore. Elle décompose toute la création, et, avec des matériaux amassés et disposés suivant des règles dont on ne peut trouver l’origine que dans le plus profond de l’âme, elle crée un monde nouveau, elle produit la sensation du neuf. Comme elle a créé le monde (on peut bien dire cela, je crois, même dans un sens
religieux), il est juste qu’elle le gouverne. Que dit-on d’un guerrier sans imagination? Qu’il peut faire un excellent soldat, mais que, s’il commande des armées, il ne fera pas de conquêtes. Le cas peut se comparer à celui d’un poète ou d’un romancier qui enlèverait à l’imagination le commandement des facultés pour le donner, par exemple, à la connaissance de la langue ou à l’observation des faits. Que dit-on d’un diplomate sans imagination ? Qu’il peut bien connaître l’histoire des traités et des alliances dans le passé, mais qu’il ne devinera pas les traités et les alliances contenus dans l’avenir. D’un savant sans imagination? Qu’il a appris tout ce qui, ayant été enseigné, pouvait être appris, mais qu’il ne trouvera pas
les lois non encore devinées. L’imagination est la reine du vrai, et le possible est une des provinces du vrai. Elle est positivement apparentée avec l’infini."

C. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859

Pour ceux, malheureux, qui ont besoin d'arguments d'autorité : « L’imagination est plus importante que le savoir » (Albert Einstein).