jeudi 24 juin 2010

Jour de grêve


Il a raison Martin Vidberg, on est vraiment trop poli...

mardi 22 juin 2010

mardi 22 juin : France - Afrique du Sud


Une pub osée sortie à l'occasion de la brillante élimination des "millionnaires applaudis par les RMIstes" comme dit le philosophe roi.

Et l'occasion de goûter à nouveau ce milk-shake de l'esprit :

QUESTION :
Pourquoi le poulet a-t-il traversé la route ?

REPONSES :

* RENE DESCARTES : Pour aller de l'autre côté.

* PLATON : Pour son bien. De l'autre côté est le Vrai.

* ARISTOTE : C'est dans la nature du poulet de traverser les routes.

* KARL MARX : C'était historiquement inévitable.

* RONALD REAGAN : Euh... J'ai oublié.

* CAPTAIN JAMES T. KIRK : Pour aller là ou aucun autre poulet n'était allé avant.

* HIPPOCRATE : A cause d'un excès de sécrétion de son pancréas.

* MARTIN LUTHER KING, JR.:J'ai la vision d'un monde ou tous les poulets seraient libres de traverser la route sans avoir a justifier leur acte..

* MOISE : Et Dieu descendit du paradis et Il dit au poulet ? Tu dois traverser la route". Et le poulet traversa la route et Dieu vit que cela était bon..

* RICHARD M. NIXON : Le poulet n'a pas traversé la route, je répète, le poulet n'a JAMAIS traversé la route.

* NICOLAS MACHIAVEL : L'élément important c'est que le poulet ait traversé la route. Qui se fiche de savoir pourquoi ? La fin en soi de traverser la route justifie tout motif quel qu'il soit.

* ARLETTE LAGUILLER : Poulettes, poulets, ne vous laissez plus spolier par le patronat qui vous oblige à traverser les routes.

* CHARLES De GAULLE : Les français sont des poulets qui traversent les routes.

* JEAN-LUC MELENCHON : teut-teut-teut petite cervelle pourrie par le refoulé de la petite bourgeoisie et la corporation voyeuriste vendeuse de papier, tu fermes ta petite bouche et tu me parles d'autres choses que de poulets qui traversent les routes.

* SIGMUND FREUD : Le fait que vous vous préoccupiez du fait que le poulet a traverse la route révèle votre fort sentiment d'insécurité sexuelle latente.

* BILL GATES : Nous venons justement de mettre au point le nouveau "Poulet Office 2010", qui ne se contentera pas seulement de traverser les routes, mais couvera aussi des œufs, classera vos dossiers importants, etc.

* CHARLES DARWIN : Les poulets, au travers de longues périodes, ont été naturellement sélectionnes de telle sorte qu'ils soient génétiquement enclins a traverser les routes.

* ALBERT EINSTEIN : Le fait que le poulet traverse la route ou que la route se déplace sous le poulet dépend de votre référentiel.

* BOUDDHA : Poser cette question renie votre propre nature de poulet.

* GALILEO GALILEI : Et pourtant, il traverse...

* ERNEST HEMINGWAY : Pour mourir. Sous la pluie.

* ZEN : Le poulet peut vainement traverser la route, seul le Maître connaît le bruit de son ombre derrière le mur.

mardi 8 juin 2010

La fable des abeilles


L'heure printanière de la floraison et du léger bourdonnement des abeilles est l'occasion de se pencher sur ce que cet insecte a évoqué pour l'homme depuis des millénaires.

Travailleuses, dévouées à la collectivité et à leur roi, produisant miel et cire, construisant des cellules de ruche dont les formes géométriques sont troublantes de perfection, les abeilles ont toujours été le symbole de l'esprit industrieux et du courage allant jusqu'au sacrifice.

Le poète romain Virgile écrit ainsi : " J'ajouterai que ni l'Égypte ni la vaste Lydie ni les peuplades des Parthes ni le Mède de l'Hydaspe n'ont autant de vénération pour leur roi. Tant que ce roi est sauf, elles n'ont toutes qu'une seule âme; perdu, elles rompent le pacte, pillent les magasins de miel, brisent les claies des rayons. C'est lui qui surveille leurs travaux; lui qu'elles admirent, qu'elles entourent d'un épais murmure, qu'elles escortent en grand nombre; souvent même elles l'élèvent sur leurs épaules, lui font un bouclier de leurs corps à la guerre et s'exposent aux blessures pour trouver devant lui une belle mort."

Mais en bon lecteur de l'épicurien et atomiste Lucrèce il ajoute : "D'après ces signes et suivant ces exemples, on a dit que les abeilles avaient une parcelle de la divine intelligence et des émanations éthérées; car, selon certains, Dieu se répand par toutes les terres, et les espaces de la mer, et les profondeurs du ciel; c'est de lui que les troupeaux de petit et de gros bétail, les hommes, toute la race des bêtes sauvages empruntent à leur naissance les subtils éléments de la vie; c'est à lui que les êtres sont rendus et retournent après leur dissolution; il n'est point de place pour la mort, mais, vivants, ils s'envolent au nombre des constellations et ils gagnent les hauteurs du ciel. "

Ainsi l'antiquité installe durablement l'abeille, aux côté de la cigale et de la fourmi, comme insecte parabolique et fondateur de l'économie politique classique. Ce fondement repose sur l'idée que les vertus privées font les vertus publiques et que la coopération au service de la collectivité profite aux intérêts particuliers.

Or en 1714 Bernard Mandeville, philosophe et médecin, écrit un texte intitulé Fable des abeilles qui constitue pour les tenant du libéralisme un coup de force philosophique permettant d'assoir leur conception de l'économie. Mandeville y affirme pour résumer que les vices privés font les vertus publiques. "Le vulgaire, peu perspicace, écrit-il, aperçoit rarement plus d'un maillon dans la chaîne des causes. Mais ceux qui savent porter plus loin leur regard et veulent bien prendre le temps de considérer la suite des événements verront en cent endroits le bien sortir du mal à foison comme les poussins sortent de l'oeuf".


Ainsi, comme le montre très bien Onfray dans ses conférences, la ruche vue par Mandeville est un lieu de vice, de corruption, et d'exploitation. Les commerçants trichent sur les prix, la justice est au service des puissants, les hommes politiques volent dans les caisses, les médecins préfèrent leurs honoraires à la santé de leurs patients, les parasites exploitent les travailleurs, etc. Rien que de très connu. Mais Mandeville, prenant soudain de la distance, affirme que ce vice des individus profite à la totalité qui, elle, est prospère et vertueuse. L'orgueil, la vanité, la jalousie, la duplicité, les privilèges ou les excès du luxe bénéficieraient non seulement au progrès collectif en générant des industries utiles à la richesse des nation mais aussi aux exploités et aux pauvres en leur donnant du travail, de la sécurité, des salaires et le sens de l'effort.
Toute autre conception serait donc non seulement naïve mais nuisible au bon fonctionnement de la société. Faisant l'hypothèse d'une intervention de Jupiter instituant la justice et la probité dans la ruche, celle-ci dépérirait, honnête mais pauvre et dévastée. Ainsi avec l'honnêteté disparaitraient les juges, les geôliers, les directeurs de prison, les policiers, les serruriers. Avec la disparition de la luxure disparaitraient les tenanciers, les viticulteurs, les prostituées, les tripots, les caisses de l'État seraient moins remplies, etc. Et de fil en aiguille la société s'appauvrirait et se retrouverait à la merci des attaques, comme une ruche affaiblie prête à être dévastée par une armée de bourdons.

Ainsi peut-il conclure : " Quittez donc vos plaintes, mortels insensés ! En vain vous cherchez à associer la grandeur d’une Nation avec la probité. Il n’y a que des fous qui puissent se flatter de jouir des agréments et des convenances de la terre, d’être renommés dans la guerre, de vivre bien à son aise et d’être en même temps vertueux. Abandonnez ces vaines chimères. Il faut que la fraude, le luxe et la vanité subsistent, si nous voulons en retirer les doux fruits. La faim est sans doute une incommodité affreuse. Mais comment sans elle pourrait se faire la digestion d’où dépend notre nutrition et notre accroissement. Ne devons-nous pas le vin, cette excellent liqueur, à une plante dont le bois est maigre, laid et tortueux ? Tandis que ses rejetons négligés sont laissés sur la plante, ils s’étouffent les uns les autres et deviennent des sarments inutiles. Mais si ces branches sont étayées et taillées, bientôt devenus fécondes, elles nous font part du plus excellent des fruits."

Si Michel Onfray fait de Mandeville le "père de l'Eglise libérale" c'est qu'il formule tout ce qui constituera le credo libéral : existence d'un ordre naturel qu'il faut laisser se réaliser dans l'espace social, existence d'une main invisible, l'utopie d'un avenir radieux, le marché est la vérité de la société, la prospérité économique est le souverain bien, la pauvreté est relative et nécessaire.

Avec le recul et la vague de mortalité des abeilles sur tout le globe, l'analogie mérite d'être revisitée. Au moins sur trois points.

Premièrement, la fable des abeilles repose sur une observation totalement fictive du fonctionnement d'une ruche, ce qui, même à l'époque de l'écriture du texte relève de la supercherie rhétorique. C'est pourquoi Daniel Bartoli traducteur de la Fable des abeilles écrit : " les abeilles démentent pareille conception : toutes travaillent avec zèle, constance et dévouement à l’harmonie de l’ensemble. Chacune d’elles assure, sans repos, le bon fonctionnement de la ruche ; les bâtisseuses, les butineuses et même les gardiennes (elles interdisent l’accès à des abeilles qui appartiennent à d’autres ruches) relèvent d’une judicieuse "division des tâches"." De plus on sait depuis que toute prospérité n'est pas bonne en elle-même. C'est toute la réflexion contemporaine sur les indicateurs de richesse. D'où l'absurdité d'une participation favorable à l'accroissement du PIB si vous prenez votre véhicule, videz votre réservoir d'essence en tournant en ville, vous cassez les jambes lors d'un accident et faites travailler les médecins urgentistes, les garagistes, les pharmaciens, etc.

Deuxièmement, si on prend cette fable au premier degré on doit remarquer qu'elle conduit à une contradiction qui est le piège de toute théorie fictionnelle. Ainsi pour être cohérent il faudrait au moins dire que si l'ordre naturel doit se réaliser et que toute affirmation vertueuse est encore un vice caché ou une illusion, alors elle répond quand même à une nécessité...qui nécessairement profite à tous. Peut-être que la fiction culturelle est une composante de la nature humaine mais elle ne peut être niée sans remettre en question la main invisible elle-même. C'est ainsi par exemple que même si le stalinisme était une illusion dangereuse elle doit être comptée au rang des causes de la vertu du libéralisme des trente glorieuse. La libre concurrence devrait être élargie jusqu'aux modèles politiques pour réaliser tous ses effets. Et la chute du mur de Berlin signerait donc aussi le moment de la chute du libéralisme vertueux.

Troisièmement, la fable de Mandeville repose sur le postulat, lourd, d'une négation de la frontière entre nature et culture. Ne pas voir dans la scène politique et sociale un espace de représentation de la grande comédie humaine serait le fait d'individus idéaliste, donc naïfs. Au mieux, ou au pire, ce seraient des manipulateurs, membres comme tout un chacun de la société du spectacle (illimitée) et jouant leur partition (les vertueux altruistes) pour assouvir leurs propres vices. Dès lors tout sol des valeurs s'effondre sous nos pieds, l'espace culturel n'est plus qu'une vaste fiction. D'où la référence aux abeilles. Pour assoir la démonstration Mandeville ne pouvait que s'appuyer sur le sol prétendu ferme de la nature.

Or c'est oublier que Mandeville est un grand lecteur, et traducteur en anglais des fables de la Fontaine. Aussi l'ironie doit toujours être soupçonnée. Et le sous-titre La fable des abeille ou les fripons devenus honnêtes gens doit incliner à la distance.
Mais sur le fond, pour que le propos de l'auteur ait un sens il faut qu'il y ait des vices et des vertus. Or cela n'a de signification que dans la culture. Croire que la hyène est cruelle et le lion courageux, ou plus largement qu'il y ait du vice ou de la vertu dans la nature est une projection anthropomorphique telle que la Fontaine a pu en produire mais en toute connaissance de cause. Enlever les termes de l'analogie propre à la fable conduit fatalement à réduire le droit au fait et donc soumettre la société au régime de la force, des pulsions et des instincts. Et ce glissement conduit Adolf Hitler a dire "la nature est cruelle, nous avons donc le droit de l'être" ou Laurence Parisot, la présidente du MEDEF à dire "la vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ?" (lire la très bonne analyse de cette stratégie rhétorique ici)

Pour bien comprendre Mandeville il faudrait donc disposer de cette "pensée de derrière" dont parle Pascal qui distingue les "habiles" des "demi habiles" qui sait en même temps que tout dans le spectacle est faux, du décor aux émotions en passant par l'histoire, mais que la vérité de la représentation réside dans la vraisemblance de l'ensemble. On peut toujours soupçonner la fausseté et le vice mais la crédibilité est la vertu cardinale de toute fiction, qu'elle soit des abeilles ou non. C'est pourquoi les vices doivent toujours être condamnés, qu'ils soient privés ou public. Faites-en votre miel...