dimanche 21 février 2010

Contre la théorie des climats...tout contre


Il semble que dans notre désir forcené de croire en l'universalité de l'humain on en ait oublié les effets de la nature sur toute chose. Nous admettons aisément que l'humidité ou la sécheresse, la présence de vents violents ou non, chauds ou froids, la plus ou moindre grand intensité et durée de l'ensoleillement, les infinies variations des climats déterminent les types de végétations, les variantes extrêmes entre les mêmes espèces et leur mode de développement. Mais nous résistons désespérément à l'idée que des environnements différents créent des hommes différents. Pour autant, même si la pensée dominante d'une indépendance absolu des hommes s'est parfaitement maintenu jusqu'à nous, un courant plus ténu, dominé mais persistant a parcouru l'histoire d'Hippocrate à nos jours. Pour le meilleur et pour le pire d'ailleurs.

Ainsi le vieux Platon écrit, vers l'an 350 avant notre ère, dans Les Lois : "Vous ne devez pas ignorer pour ce qui regarde les lieux, qu'ils semblent différer les uns des autres pour rendre les hommes meilleurs ou pires et qu'il ne faut pas que les lois soient en opposition avec eux. [Parmi les hommes] les uns sont bizarres et emportés à cause de la diversité des vents et de l'élévation de la température, les autres à cause des eaux, les autres enfin à cause de la nourriture que la terre leur fournit, et qui n'influe pas seulement sur le corps pour le rendre meilleur ou pire, mais qui n'a pas moins de puissance sur l'âme pour produire tous ces effets."
De cette affirmation nous pouvons garder l'essentiel, au moins à titre d'hypothèse, mais pas une chose : l'idée que la nature, par le biais d'un climat puisse rendre les hommes bons ou mauvais, meilleurs ou pire. La nature ne connaît pas ces catégories et n'a comme valeur que l'efficacité. Qui ne survit pas périt. Qui n'est pas adapté à son climat disparaît. Ainsi il serait plus juste de dire que le bon ou le meilleur homme est celui qui est le mieux adapté à son environnement. C'est exactement ce que propose Montesquieu des Lettres persanes à L'esprit des lois. Non seulement les voyages nous apprennent qu'il existe une infinie variété de mœurs, de lois, de religions qui obligent à relativiser les siennes au lieu de les prendre pour l'universel. Mais cette diversité et ces bizarreries prennent sens et retrouvent une unité si on observe que la variété des climats et de la géographie en est la cause.
De cette théorie des climats, comme on l'appelle, il ne faut pas conclure qu'il existe de bons ou de mauvais climats mais des institutions et des mœurs plus ou moins bien adaptées. Montesquieu refuse ainsi l'idée d'une législation idéale, universellement valable puisque " ce sont les différents besoins dans les différents climats, qui ont formé les différentes manières de vivre ; et ces différentes manières de vivre ont formé les diverses sortes de lois" (Esprit des lois, 3ème partie, Livre XIV, chapitre X)
Ainsi le bon législateur est-il celui qui non seulement ne s'oppose pas au climat et à la géographie de sa cité mais qui au contraire sait utiliser les caractéristiques du climat.
Évidemment il ne nous échappe pas que cette théorie des déterminismes climatiques et géographiques peut donner lieu à des affirmations dont l'histoire a montré le caractère nauséabond. Et le détail des analyses de Montesquieu prête ainsi à sourire : "l'ivrognerie se trouve établie par toute la terre, dans la proportion de la froideur et de l'humidité du climat" et "il y a des pays où la chaleur énerve le corps, et affaiblit si fort le courage, que les hommes ne sont portés à un devoir pénible que par la crainte du châtiment", et voilà Montesquieu et ses lecteurs emportés sur une piste bien savonneuse...

C'est à rebours de cette pente que se dressent un homme comme l'Ethiopien Robel Zeimichael Teklemariam, skieur de fond à dreadlocks qui s'entraîne dans les faubourgs d'Addis-Abeba sur des skis à roulettes et qui défendra les couleurs de son pays au J-O de Vancouver, ou comme le Ghanéen Kwame Nkrumah-Acheampong, surnommé "le léopard des neiges", ou encore le Sénégalais Seck Leyti. Et apprendre que le premier a grandi aux Etats-unis, que le second est né à Glasgow et que le dernier a aussi la nationalité autrichienne ne doit nous inciter qu'à affiner la théorie, en se rappelant que l'astronomie est née de l'astrologie, la chimie de l'alchimie...