samedi 10 juillet 2010

Parce que nous le valons bien

L'affaire Bettencourt-Woerth est une occasion trop belle pour ne pas revenir sur le côté obscur de L'Oréal.



La foule des hommes crédules est spontanément réaliste, même dans ses élans superstitieux. Elle croit en effet que tout ce qui se présente devant ses yeux n’est que ce qu’il est et doit être reçu tel qu'il se manifeste. Le mystère, le sens ou l’intention lui échappent parce que l’idée même d’un envers de l’image lui est étrangère. Guidée par la seule émotion ou l'identification béate, l’imagination non instruite ne peut rien révéler.
C’est ainsi que L’Oréal a pu pendant près d’un siècle diffuser ses idées vénéneuses sans que personne, ou presque, ne s’en inquiète. On a bien révélé ou simplement rappelé puisqu’il ne s’en était jamais caché le soutien très actif d’Eugène Schueller, fondateur de L’Oréal, à l’activisme faschiste de l’Organisation secrète d’action révolutionnaire nationale (OSARN), communémemnt appelé « la Cagoule » et à l’extrême droite vichyste. Propriétaire de l’Oréal, DOP, Monsavon et autre entreprise de l’Europe plus propre, Eugène Schueller qui dans La Révolution de l’Economie, écrit vouloir « arracher au cœur des hommes les concepts enfantins de liberté, d’égalité et même de fraternité », s’engage activement dès 1940 dans la collaboration. Il crée le Mouvement social révolutionnaire (dont l’acronyme MSR se prononce « aime et sert ») avec le soutien des nazis. Le mouvement, dont les réunions de la direction se tiennent au siège de L’Oréal a un programme on ne peut plus, clair : « Nous voulons construire la nouvelle Europe en coopération avec l’Allemagne nationale-socialiste et tous les autres nations européennes libérés comme elles du capitalisme libéral, du judaïsme, du bolchévisme et de la franc-maçonnerie (…) régénérer racialement la France et les Français (…) donner aux juifs qui seront conservés en France un statut sévère les empêchant de polluer notre race (…) ».
Nous passons les détails qui sont à la disposition de tous et n’ont jamais été remis en cause pour n’en retenir que l’issue : à la libération les membres actifs de ses organisations seront accueillis dans les directions des différentes filiales de L’Oréal et de Nestlé, en Europe et aux USA pour continuer leur oeuvre. André Béttencourt, chef français de la PropagandaStaffel, placé sous la triple tutelle du ministre de la propagande, Joseph Goebbels, de la Wehrmacht et de la Gestapo, se marie avec Liliane Schueller, devenue Béttencourt. Et François Mitterand trainera toute sa vie ses amitiés douteuses.

Naïfs seraient les consommateurs croyant qu’en achetant les produits L’Oréal ils ne soutiennent pas matériellement et idéologiquement cette entreprise centenaire d’aryanisation. Elle se manifeste très clairement aujourd’hui dans ce qu'on peut facilement qualifier d'esthétique fasciste. Celle-là même qu’a cultivé Leni Riefenstahl, cinéaste officielle nazi qui, après le manifeste "Les Dieux du stade", après la chute du Reich et sans avenir en Europe, part en Afrique pendant quarante ans à la recherche de sa fantasmagorie politico-artistique de races pures, Noubas, Massaïs, Dinka ou Samburu. Celle encore qu’on retrouve dans ce cauchemard réaliste qu’est Bienvenue à Gattaca.

C’est ainsi que les tabloïds américains se sont émus récemment de l’aryanisation de Beyoncé par L’Oréal (cf photo ci-dessus).

C’est encore ainsi que la cour d'appel de Paris a condamné, le vendredi 6 juillet 2007, pour discrimination raciale à l'embauche la société Garnier.En effet pour la promotion des produits capillaires Fructis Style, fabriqué par Garnier, la filiale de L’Oréal avait demandé de na pas embaucher des jeunes femmes d'origine africaine, arabe ou asiatique (non BBR, « bleu, blanc, rouge » comme on dit pudiquement dans le métier). Les postulantes devaient aussi être âgées de 18 à 22 ans et leur taille de vêtement devait être comprise entre le 38 et le 42. Voilà les modalités concrètes de la sélection de l’espèce vu par L’Oréal.

Jean Baudrillard écrit très justement que « les objets de consommation constituent un lexique idéaliste de signes, où s’indique dans une matérialité fuyante le projet même de vivre”. La matérialité fuyante c’est le produit (cosmétique par exemple. Sa matérialité est fuyante parce que ce qu’achète réellement le consommateur c’est le mythe d’une beauté universelle, standardisée et supérieure. Le “projet même de vivre” c’est, en l'occurence, le désir d’appartenir à une aristocratie économique, esthétique et biologique, une race supérieure donc. Baudrillard poursuit très justement “Si la consommation semble irrépressible, c’est justement qu’elle est une pratique idéaliste totale qui n’a plus rien à voir avec (au-delà d’un certain seuil avec) avec la satisfaction de besoins ni avec le principe de réalité. C’est qu’elle est dynamisée par le projet toujours déçu et sous-entendu par l’objet”. En bons épicuriens c’est le “toujours déçu” qui nous intéresse. En effet le désir cultivé par L’Oréal ne peut que conduire à la déception, la frustration et la colère. Et pour cause, cette société supérieure n’est que le produit de la manipulation du monde par photoshop et de pauvres esprits incapables de voir la beauté quand elle n’est pas standadisée. Beyoncé, Kate Moss ou Claudia Schieffer n’existent pas, elle ne sont que des produits de synthèse auxquelle les jeunes filles aspirent désespéremment à ressembler.

Dans Cool memories IV, Baudrillard ajoute : «la misère du monde est tout aussi visible dans la ligne et le visage d'un mannequin que dans le corps squelettique d'un Africain. La même cruauté se lit partout si on sait la voir ». Qui l’entend ?

Quelques uns sûrement, puisque Yannick Noah peut chanter en ce moment à propos d'Angela Davis :

Angela my sister angela my sister
My home is your home
Angela my sister angela my sister
Ton nom dans nos vies résonne