dimanche 22 novembre 2009

A fish doesn’t know it’s in water

Il est étonnant de voir à quel point il est difficile d'identifier, de penser et plus encore de critiquer un système de pensée lorsqu'on y vit. Et inversement il paraît presque incompréhensible, pour ceux qui en sont étrangers, que des peuples entiers vivent ou aient pu vivre si longtemps à l'intérieur d'un tel système de pensée. Ce filtre est en effet comme une sorte d'atmosphère que l'on respire, à travers laquelle nous percevons toute réalité et qui n'est elle-même perçue qu'une fois qu'on en est sortie. Ce que les Allemands appellent Weltanschauung, représentation du monde.

A fish doesn’t know it’s in water.

Or nous avons justement pu avoir une idée de cette eau pour le coup nauséabonde et crasseuse lorsque tous les médias « indépendants » du monde « libre », comme se sont toujours présentées toutes les propagandes, nous ont servi un déluge d'images de commémoration des 20 ans de la chute du mur de Berlin. D'une seule voix l'Europe de la liberté, de la démocratie et de la fraternité s'est levée pour entonner le chant de l'auto-satisfaction. Pendant une semaine les médias se sont entendu pour proposer aux Européens une expérience de programme unique, de pensée unique et nous replonger ainsi in-vivo dans les eaux du totalitarisme. Expérience réussie.

Ainsi peu de voix se sont élevées pour demander si la dictature soviétique avait réellement à voir avec la pensée communiste ou socialiste (celle de Fourrier, Proudhon ou Jaurès, pas le bal des ego incultes et sans saveur dont nous sommes les tristes contemporains). L'heure n'était surtout pas au rappel de ce que le France, par exemple, devait à la résistance communiste. Ce qu'elle avait apporté au programme du Conseil National de la Résistance mis en place au lendemain de la guerre, instaurant le droit de vote des femmes dont la droite n'avait jamais voulu, la création de la sécurité sociale, la nationalisation des crédits, la semaine de 40 heures, la nationalisation de l'énergie, des assurance et des banques (évidence pourrait-on croire), la création du SMIG et l'augmentation de l'impôt sur les grandes fortunes, etc. Toutes ces institutions et décisions ont été le résultat de choix politiques, à un moment où il n'était pas possible de berner le peuple en lui faisant croire qu'il y avait un cours nécessaire de l'histoire. Au moins aurions-nous pu retenir de cette époque que l'idée qu'il n'y a plus d'alternative est la marque du début de la barbarie. Camus, dont on parle beaucoup ces jours-ci, écrivait en ce sens : "La fin de l'histoire n'est pas une valeur. Elle est un principe d'arbitraire et de terreur".

Ces choix, (alors même que la France était en ruine!) ont permis d'instaurer un climat pacifié, réconciliant la France avec elle-même, lui ont permis de s'enrichir, d'offrir un travail à tous, d'assurer une ascension sociale pour tous les hommes de bonne volonté et d'offrir aux immigrés venus de tous les horizons un lieu émancipateur à la hauteur de l'idéal républicain des révolutionnaires de 1789 (ce moment grandiose et fondateur de l'histoire de France semble bien lointain et pourtant c'est toujours à sa lumière que nous nous chauffons et c'est toujours lui qui nous guide).
Aujourd'hui les décisions et discours de de Gaulle seraient considérés comme dangereusement gauchistes et liberticides. Triste spectacle d'une commémoration sans mémoire. Et on mesure là, et comme cela seulement, la distance qui nous sépare d'une représentation du monde révolue et nous pouvons du coup évaluer celle dans laquelle nous errons.

A fish doesn’t know it’s in water.

Au moins, quelques journalistes courageux auraient pu évoquer l'édification des murs bien plus impressionnants et honteux qui se construisent aujourd'hui sur toute la planète. Le 26 octobre 2006, le président des Etats-Unis George W. Bush prend ainsi la décision de renforcer la lutter contre l'immigration en mettant en chantier un mur de 1 200 kilomètres, soit un tiers de la frontière, haut de 4,50 mètres et équipé de caméras et de miradors. Pour peu que cela ne suffise pas les bons citoyens américains patrouillent la nuit et jouent au ball-trap, en toute bonne conscience, avec les miséreux venus chercher fortune. Et dire que notre président voulait nous présenter ce pays, où 1% de la population détient 20% des richesse comme modèle de société! Murs entre la Palestine et Israël, murs des résidences sensés les protéger des perdants de la vaste mise en concurrence des uns contre les autres. Nous n'avons jamais autant construit de murs qu'aujourd'hui. C'est pourquoi il est grand temps que le poisson sortent de l'eau ou en choisissent une moins polluée.

Dire tout cela est bien inconvenant et risquerait de gâcher la fête puisque l'heure est à l'insouciance et à l'inconscience. Et il serait dès lors (un peu) moins facile de faire avaler contre leur gré, à 450 millions d'âmes la Constitution Européenne, les livrant pieds et poings liés au marché et à la libre circulation des marchandises. Mais souvenons-nous quand même que, comme le montre cette photo du photographe collabo Andé Zucca, dans la France occupée, humiliée, piétinée, la foule toujours sûre et contente d'elle-même s'amusait. Et le commerce se portait bien.