vendredi 21 août 2009

Genre fluide


La victoire de Caster Semenya à l'épreuve du 800 m des championnats du monde d'athlétisme à Berlin de mercredi dernier relance une très ancienne polémique sur le sexe des athlètes féminines. Voir l'article à l'adresse suivante : http://contre-pied.blog.lemonde.fr/2009/08/19/athletisme-semenya-ou-le-retour-du-troisieme-sexe/

Déjà en 440 avant J.-C.Lors des Jeux Olympiques Grecques, Kallipateira ou Phereniki pénètrait dans l'enceinte sacrée interdite aux femmes du stade d'Olympie lors des Jeux olympiques antiques. C'est à partir de cette époque que les Grecs inventent le premier test de féminité : dorénavant les athlètes et leurs entraîneurs paraîtront nues aux épreuves.

Et il est vrai que les apparence ne jouent pas en faveur de l'athlète Sud-Africaine à la musculature, la morphologie et la démarche si gracieusement...masculine. Mais il faudrait dépasser ces apparences pour s'apercevoir que le cas est nettement plus fréquent. Ainsi dans son Dictionnaire du dopage le docteur Jean-Pierre Mondenard écrit ainsi :"aux Jeux de Tokyo de 1964 , 26,7% des athlètes féminines médaillées d'or n'étaient pas des femmes authentiques" et en 1967, "60% des records du monde féminins sont détenus pas des intersexués"

Dans le fond ce que remet en évidence cette affaire c'est que l'appartenance à un sexe n'est pas seulement affaire de chromosome (XY ou XX) et que les limites entre les genres sont parfois floues. De là l'existence de chromosomes XXY, XO/XY, XX/XY, etc, qui montrent que la nature est beaucoup plus variée et mouvante que nos catégories conceptuelles et identitaire qui tentent des la cartographier. Sur le site joliement intitulé "Genres Pluriels - Visibilité des personnes aux genres fluides" http://www.genrespluriels.be/?lang=fr, on peut lire un article instructif dont le titre est "Le réel est continu". Epicure, ou Diderot, comme tout atomiste en général, n'auraient pas renié cette phrase.

Ce que les médecins appellent, selon un consensus international adopté en 2005, les Desorders of Sex Development (DSD) concernerait, toutes causes confondues (environ une trentaine), en moyenne une naissance sur 5 000 en France - soit environ 200 nouveau-nés par an.

Par parenthèse, le phénomène est en nette recrudescence à cause de l'usage et de la consommation des pesticides, qui interfèrent sur les régulations hormonales. Tout est lié, comme dirait l'autre.

Mais surtout cela nous impose de repenser ou de maintenir ouverte nos distinctions quant à l'identité sexuelle. Ici c'est vers les analyses de Judith Butler, plus que celles de Simone de Beauvoir qu'il faudrait se tourner, parce que c'est elle qui a tenté de décrypter en détail les questions du sexe, du genre, du transgenre et de l'"intersexualité" comme on dit. Grace à un nominalisme radical qui a fait de Judith Butler l'icône de la communauté gay, lesbienne et transsexuelle, il s'agit d'une part de dépasser les catégories homme/femmes, et plus largement de distinguer caractéristiques sexuelles et identité sexuelle. Et d'autre part de démystifier des dénominations (homme/femme, homosexuel, etc.) qui véhiculent des stratégies primitives de domination.

Et la science abonde dans son sens puisque la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) a décidé en 2000, là l'occasion des JO de Sydney, que les test de sexualité (les tests chromosomiques, test de Barr ou de chromatine sexuelle) n'étaient pas fiables.

Que rien ne prouve l'avantage des intersexuées sur les autres. On peut d'ailleurs se demander ce que révèle la séparation fille/garçon à l'école primaire, voire au collège, pour les activités sportives.

Et qu'on oublie trop souvent que, si on lit bien Darwin, le moteur de l'évolution est dans les marges et non dans la norme. Parenthèse pour rappeler à quel point les moyens de l'identification sociale (qui passe bien souvent par la discrimination et le rejet de la marginalité) sont bien loin de ceux de la rationalité scientifique.

Elle écrit ainsi "Si le genre est une sorte de pratique, une activité qui s'accomplit sans cesse et en partie sans qu'on le veuille et qu'on le sache, il n'a pour autant rien d'automatique ni de mécanique. Bien au contraire. Il s'agit d'une sorte d'improvisation pratiquée dans un contexte contraignant. De plus, on ne "construit" pas son genre tout seul. On le "construit" toujours avec ou pour autrui, même si cet autrui n'est qu'imaginaire. Il peut arriver que ce que j'appelle mon genre "propre" apparaisse comme le produit de ma création et comme une de mes possessions. Mais le genre est constitué par des termes qui sont, dès le départ, extérieurs au soi et qui le dépassent, ils se trouvent dans une socialité qui n'a pas d'auteur unique (et qui met d'ailleurs radicalement en cause la notion même d'auteur)." (Conférence de Judith Butler, Professeur à l'Université de Californie à Berkeley, donnée le 25 mai à l'Université de Paris X-Nanterre)

Ainsi le genre, par-delà les déterminismes génétiques, est une performance sociale apprise, répétée, et exécutée. Mais il ne faut pas confondre cette fiction sociale avec la réalité d'un genre stable, ou pire encore, "naturel". Et il ne faudrait pas être dupe de ce que ces fictions ont de contraignant, et donc d'aliénant, et en même temps de nécessaires parce qu'une identité, fut-elle sexuelle, se construit toujours par rapport à d'autres.

Merleau-Ponty écrivait cela déjà très bien dans sa Phénoménologie de la Perception : "L'usage qu'un homme fera de son corps est transcendant à l'égard de ce corps comme être simplement biologique. Il n'est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d'embrasser dans l'amour que d'appeler table une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain, sont en réalité des institutions. Il est impossible de superposer chez l'homme une première couche de comportements que l'on appellerait "naturels" et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l'homme".

Mais lorsque Michael Seme, l'entraîneur de Caster Semenya, raconte qu'elle s'est récemment vue refuser l'entrée des toilettes femmes dans une station-service du Cap par un employé. Et qu'elle aurait ri et lui aurait demandé s'il voulait qu'elle baisse son pantalon pour lui prouver qu'elle était bien une demoiselle, on imagine bien le caractère quotidiennement éprouvant de cette ambiguïté sexuelle ou morphologique.

Et on aimerait qu'elle parle un peu français pour pouvoir lui faire écouter une chanson qui, l'air de rien, a dû réconforter plus d'une âme désespérée :

"Dans la rue, des tenues charmantes
Maquillé comme mon fiancé
Garçon, fille, l'allure stupéfiante
Habillé comme ma fiancée
Cheveux longs, cheveux blonds colorés
Toute nue dans une boîte en fer
Il est belle, il est beau, décrié
L'outragé mais j'en ai rien à faire
(...)
Et on se prend la main
Une fille au masculin
Un garçon au féminin
"

Indochine, 3ème sexe

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