lundi 24 août 2009

"Le sport, c'est la liberté de l'excès" Pierre de Coubertin


Un ami me fait remarquer très justement qu'il était finalement peu question de sport féminin dans mon dernier article, daté du 20 août. En effet, ce n'était qu'un alibi pour parler d'identité sexuelle. Et l'idée même de ce blog est de montrer entre autre que la philosophie est avant tout une manière d'interroger le monde qui nous entoure, de nous en étonner et éventuellement de modifier nos représentations s'il s'avérait qu'elle soient fausses ou nuisibles, puisque la vérité n'est peut-être finalement que l'utile. Passons.

Toujours est-il que la polémique autour de Caster Semenya m'intéresse d'autant moins d'un point de vue sportif qu'il y aurait beaucoup à redire quant à ce qu'est devenu, et ce qu'a peut-être toujours été, le moteur des Olympiades et championnats du monde contemporains.

Pour cela il faut revenir à la personnalité et la motivation du baron Pierre de Coubertin. L'opinion commune, pléonasme, a bien intégré l'image d'un bienfaiteur de l'humanité, défenseur du dépassement de soi, de l'amitié et de la fraternité entre les peuples grâce à la sublimation de la violence dans la beauté du sport. Voilà pour la carte postale.

Si on y regarde de plus près, Pierre de Coubertin était un grand amateur des écrits fétides du naturaliste anglais Sir Francis Galton, qui toute sa vie tenta de démontrer l'inégalité des races humaines, et fonda entre autre la revue Biometrika dont le but était la sélection d'une race humaine idéale. Il était bercé aussi par les écrits du comte Joseph de Gobineau, l'inspirateur de l'idéologie nazie, comme de Jean Marie Le Pen et qui tenta de démontrer les mêmes merveilles (Essai sur l'inégalité des races humaines). Inutile de s'étendre sur ce fait qu'on pourra vérifier partout, d'autant qu'il ne s'en cacha pas, Coubertin était un conservateur, raciste, belliciste, colonialiste, antisémite et misogyne.

Pour citer quelques pépites de ce grand homme auquel on érige des statuts et dont le nom pare les stades du monde entier :

Dans « The review of the reviews » d'avril 1901, il écrit: "La théorie de l'égalité des droits pour toutes les races humaines conduit à une ligne politique contraire à tout progrès colonial. Sans naturellement s'abaisser à l'esclavage ou même à une forme adoucie du servage, la race supérieure a parfaitement raison de refuser à la race inférieure certains privilèges de la vie civilisée."

"Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. Le véritable héros olympique est à mes yeux, l'adulte mâle individuel. Les J.O. doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs." (discours lors des Jeux Olympiques de 1912 à Stockholm).

Et à propos des jeux de 1936 qu'il défendit ardemment : "La onzième olympiade s'accomplit sur un plan magnifique. J'ai l'impression que toute l'Allemagne, depuis son chef jusqu'au plus humble de ses écoliers, souhaite ardemment que la célébration de 1936 soit une des plus belles. Dès aujourd'hui, je veux remercier le gouvernement allemand pour la préparation de la onzième olympiade."

Charmant et délicieusement désuet pourrait-on se dire. Mais la nature et le projet que servent les championnats du monde ont-ils réellement changé?

- On garde les drapeaux pour le patriotisme et l'identification nationale.
- Les lauriers se sont transformés en métaux précieux parce que le symbole n'est plus la gloire mais la réussite économique. Sous le masque séduisant du dépassement de soi et de la force de la volonté les championnats du monde il y a 60 000 dollars pour les médailles d'or, 30 000 pour les médailles d'argent, 20 000 pour le bronze et 100 000 mille dollars pour tout record du monde, sans compter les bonus accordés par les pays et les retombées publicitaires.
- Et l'idéologie raciste s'est métarphosée en culte du corps et de la race pure, telle que Léni Riefenstahl en avait fixé le code esthétique et tel que les chinois en applique les principes techniques en faisant, entre autre, se reproduire entre eux leurs champions (cf Yao Ming dont le coach Wang Chongguang dit "nous avons attendu impatiemment l'arrivée de Yao Ming depuis trois générations"). Sélection et élevage amateur de champion qui donnera lieu très bientôt à des pratiques scientifiques (cf par exemple l'article "Bientôt le dopage génétique"). Comme l'affirme Bienvenue à Gattaca, ces Olympiades des savants fous, des laboratoires et des athlètes aveuglés par l'appât du gain sont pour un "not-too distant future".

Ce que cela m'inspire est résumé par Albert Einstein: "Il est hélas devenu évident aujourd'hui que notre technologie a dépassé notre humanité".

En réalité les Olympiades sont toujours la sublimation trompeuse de la guerre pour le profit, faussée, nationaliste, violente et inhumaine, où tous les moyens sont bons tant que les apparences sont sauves. Le sport professionnel et médiatique est la projection symbolique du système économique dans lequel nous vivons et auquel en retour il renvoie une aura de séduction et de bonne conscience.

On pourrait alors dire du sport exactement ce que Marx disait de la religion : "Certes, la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu'a l'homme qui ne s'est pas encore trouvé lui-même, ou bien s'est déjà reperdu. (...) La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de l'être humain, parce que l'être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion c'est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l'arôme spirituel."

C'est donc bien de crédulité qu'il s'agit lorsqu'on s'en tient à la fascination "enthousiaste" (en-theos, en dieu) devant ce qui est en réalité une vaste entreprise spectaculaire et commerciale de légitimation d'un certain modèle de société, et d'une certaine conception de l'homme.

C'est pourquoi aussi il est absolument essentiel que les championnats du monde d'athlétisme paraissent "fantastiques" parce que si cette aura s'affaiblissait, si se révélait l'envers du décor (vaste entreprise commerciale au profit des pays riches, fiction, dopage, harcèlement moral et sexuel, marchés truqués, pauvreté et revendication politiques éloignés des stades, etc) alors ce sont les fondements du système lui-même qui seraient ébranlés.

La réalité c'est que les pommiers ne font pas des poires et que le sport professionnel médiatique est bien à l'image de son double : une mystification nauséabonde. Et, ô ironie, le sport toxique qui fait mourir une Florence Griffith-Joyner à 37 ans est aussi, espérons-le le signe d'un système parvenu à sa fin.

Et là où le texte de Marx est visionnaire ("ou s'est déjà reperdu") c'est qu'à mesure que l'image du sport grandit la pratique des spectateurs diminue. Les jeunes Français de 2009, mais on peut parier que le phénomène est généralisable, font ainsi deux fois moins de sport que leurs parents. CQFD.

Allez, une petite dernière de Coubertin pour la route :"Les sports ont fait fleurir toutes les qualités qui servent à la guerre : insouciance, belle-humeur, accoutumance a l'imprévu, notion exacte de l'effort à faire sans dépenser des forces inutiles" dans «Les assises philosophiques de l'olympisme moderne» in L'idée olympique, Stuttgart.

ps : pour plus de renseignement et un peu plus d'impartialité on pourra lire le passionnant article tiré du supplément du journal Le Monde "L'AVENIR : 21 QUESTIONS AU XXIe SIECLE. Plus haut, plus vite, plus fort ? Les sportifs ivres de records et d'argent"

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